Rappelles-toi Marius... !
Un gigantesque et magnifique dauphin blanc, aux rayures bleutées le long du corps et son aileron jaune marqué d'un « C » semble assoupi au pied des collines.
Son nez profilé domine la mer vers laquelle il pointe. Sont aileron crache de la fumée noire et son cri sourd retentit, comme si Poséidon soufflait dans un coquillage. Il avance alors tranquillement, faisant fi des vagues que soulève le vent du Sud.
Le dauphin métallique emprunte le chenal. Il passe entre les digues. Il vire pour faire face à l'horizon, lentement, pesamment. Il toise les pétroliers trop vulgaires amarrés à quelques encablures de son orgueil assumé.
Il prend un virage à bâbord afin d'aborder le large. Les frêles esquisses du port de plaisance sont écrasées par sa taille démesurée et se pressent les unes contre les autres comme pour se protéger.
Telle une voiture qui négocie un virage serré, il glisse doucement sur l'eau. Une légère gîte à tribord. Les passagers à bord du grand cétacé s'assurent maladroitement sur leurs pieds pour dire au revoir à la côte. D'une main ils tiennent le bastingage, de l'autre ils font ce geste tant de fois répété pour un dernier salut.
La mammifère marin avance sous un ciel bas de février. Un ciel chargé de nuages pesants et sombres. Au loin, le soleil apparaît par ses rayons qui déchirent le bleu noir et gris. Comme pour lui indiquer le cap à suivre.
Ses lumières s'éclairent et brillent dans les cabines et sur la passerelle.
Dans deux jours, un autre dauphin prendra sa place et déversera ses touristes aveugles aux beautés simples dont ils pensent être des touches de couleurs. Ignorant la plupart du temps qu'ils n'ont vu que le dos des choses.
Le grand dauphin, lui, s'en moque. Il embarque, transporte et déverse sans état d'âme. Pour lui, seul compte d'être sur mer. D'être ce lien entre les ports. D'être ce pilote qui relie les hommes qui croient comprendre, voir et écouter.
Erick .°.
Rêveries Diurnes
Je roule tranquillement sur l'autoroute qui me mène jusqu'au lieu ou je réside encore pour quelques temps. La plaine littorale délivre son paysage urbanisé par le tourisme de masse avec ses barres blanches de la Grande-Motte, et ses habitations montpelliéraines qui s’étalent. Derrière les vitres de ma voiture, le ciel est chargé de nuages noirs et menaçants, comme un avertissement. Voici cinq minutes quelques grosses gouttes de pluies sont tombées sur le bitume et ont tacheté la route qui était sèche. Je roule un temps sur une sorte de peau de panthère grisâtre.
Quelques kilomètres plus loin le paysage change et le temps s'éclaircit enfin. Les contreforts des Cévennes déploient de douces collines rondes et vertes qui se mêlent et s'entremêlent sereinement. Elles offrent un spectacle de douceur et de rondeur presque charnelles. La route monte un peu plus tandis que le soleil perce et que ses rayons tranchent les nuages comme de longues lames. Ils séparent et diluent les masses grises. A ma droite, une série de grosses formes hémisphériques faites de terre et de roches. L'un d'entre elles attire mon attention. Un dos de tortue endormie se dégage en dehors des collines enlacées. Comme si l'animal s'était posé là après un voyage pour récupérer de son périple avant de gripper sur le plateau du Larzac. La carapace est verte. Les arbres qui la tapissent forment des petites boules verdoyantes qui me font penser à des écailles. Mon imagination vagabonde alors que je laisse en arrière la dormeuse.
Je l'imagine sortir sa tête reptilienne aux yeux chargés de sommeil. Elle ouvre sa gueule pour bailler en émettant un cri en étirant son long cou. Sur les côtés de la carapace ses pattes se déploient lentement en marquant le sol de labours profonds. Le dos de la bête tremble et secoue les arbres d'où s'enfuient des grappes d'oiseaux noirs dans le ciel d'azur. La carapace se soulève sous l'effet de levier des pattes, faisant tomber au sol de la roche et des arbres dégagés de la terre qui pleut avec eux. Un bruit de terre qui gronde accompagne le mouvement. Les naseaux de la bête soufflent de la poussière et des arbustes en panache. La colline se met lentement en mouvement. Elle avance et les pattes de la bête martèlent le sol. L'une après l'autre, elles permettent au monstre du fond des âges de gravir les pentes qui vont la mener jusqu'aux espaces herbeux du plateau, où elle pourra se repaître tout à loisir. Là, elle retournera à son sommeil millénaire en attendant que la faim la pousse au réveil, ou d'un autre que moi la voit telle qu'elle est... un monstre magnifique, puissant et indolent.
Erick .°.
Je voulais simplement me promener avec elle dans les rues de la ville et sur la plage en lui tenant sa main et caressant ses doigts délicatement. En me disant : “J’ai de la chance car je l’aime !”. En me disant : “J’ai de la chance car elle m’aime !”.
C’était l’hiver et le vent froid de février courrait entre les façades des maisons, frappant nos joues de bises glacées. Il bondissait d'un mur à l'autre tel un chien fou, puis arrivant dans notre dos, et nous traversant pour continuer plus loin vers l'océan. Elle se blottissait tout contre moi pour se tenir au chaud et moi j'ouvrais mes bras pour la protéger des rafales hivernales. Sa tête appuyée sur mon épaule. Je sentais alors son parfum fleuri que je n'ai pu oublier jusqu'à ce jour. Parfois, je le retrouve chez certaines femmes et il évoque alors un monde englouti, mon Atlantide.
Il avait plu ce jour-là sur Brest, t'en souviens-tu mon amour ? Les bruits de tes bottes résonnaient dans le silence du matin sur le pavé humide et glissant. Un instant, ton pied gauche a dérapé sur la pierre polie par le temps et les pas centenaires. Je t'ai rattrapé avant que tu ne chutes au sol. Et une fois encore je pouvais te prendre dans mes bras. Une fois de plus je sentais mon cœur vibrer et battre la chamade. Je pouvais une fois encore sentir ces papillons dans mon ventre qui toujours se sont manifestés lorsque j'étais près de toi. Et je n'évoque qu'avec retenue mon désir se manifestant en moi, visible pour tous ceux qui savent voir. Mon « allergie » pour toi ! C'était le temps des jours heureux. Les temps de l’insouciance crédule. Des serments éternels. De la joie des petites choses qui pouvaient agacer avec le temps, et qui là donnaient tout le charme d'un instant. Comme tes ronflements nocturnes. Je les regrette aujourd'hui. Ou ton bras qui m'écrasait le nez pendant notre sommeil. Ce simple contact de ta peau sur moi était un doux supplice de sensations et d’émotions. C'était le temps de nos nuits et journées érotiques, et des communions de nos corps. Des plaisirs physiques sensuels et intenses. C'était le temps de nos échappées en voiture sur la côte, vers le sud. Le temps du soleil dans tes cheveux au vent de ta décapotable.
C'était le temps des éclats de rires et de mes yeux qui brillaient en te regardant dans ta robe noire, ou dans celle que je t'avais acheté pour ton anniversaire dans ce magasin vintage. Celle que tu portais le dernier soir. Sa couleur verte se fondait dans tes beaux cheveux blonds. Et son décolleté mettait en valeur ta poitrine meurtrie que j'ai toujours aimée.
C'était le temps des promenades dans la ville où j'ai choisi de ne pas te suivre pour vivre un rêve fou et inutile. Un rêve qu'il me fallait réaliser pour accepter la vacuité de mes espoirs. Et surtout me permettre de renoncer à vivre autour des autres pour vivre autour de moi. Te suivre à ce moment-là aurait signifié vivre autour de toi et non avec toi. Et c'était impossible pour moi. Ce n’était pas cela avoir une vie de couple installé.
Enfin est venu le temps de vivre, et de partager cette joie avec toi. J'étais prêt et tu exprimais encore intensément un amour que je partageais.
Je suis venu pour te prendre la main pour t'amener sur des rives insensées où seul l'amour règne en maître. Où seul le bonheur veut s'exprimer enfin. Je suis venu recueillir les mots que tu m'as écrit et que tu m'as donné. Je suis venu vivre le réel et non plus la distance. Le matin même tu me disais encore ton amour, les yeux dans les yeux. Sais-tu que mon cœur a bondi dans ma poitrine et que l'intensité était si forte que mon corps tremblait un peu ? Un peu car je refrénais cette joie sans en comprendre le pourquoi. Car un doute était distillé dans mes veines depuis quelques temps tel un poison lent et mortel. Ce doute était la présence d'un autre dans ta vie. « Juste une rencontre platonique » disais-tu. J'y ai cru. Je t'ai cru. Comme j'ai cru en ton amour. Je t'ai fait confiance, comme j'avais confiance en nos sentiments. Tu ne pouvais pas me trahir. Pas toi. Pas comme les autres. Tu étais sincère avec moi, pas comme les autres.
J'ai pris le temps de mesurer la présence de l'autre dans ta vie avec ce que tu m'en disais. J'ai pris également le temps de mesurer les mots d'amour que tu me distribuais. Alors j'étais confiant. J'allais à nouveau te tenir la main pour marcher dans la ville et sur la plage. J'allais à nouveau écrire une autre histoire avec toi et briser le cercle non vertueux dans lequel j'étais enfermé depuis trop longtemps. J'allais enfin partager le bonheur et tout ce que je porte en moi de beau et de subtile. Laisser au placard les peurs et les doutes, les erreurs et les mauvais choix, les choses qui troublaient ma vision du monde et mon esprit. J'allais ouvrir grandes mes ailes et m'élancer vers l'avenir. J'allais vivre dans un printemps éternel.
La réalité a parfois un goût très amer. Une dimension sombre, où des fantômes impriment des ombres sur des oreillers et des draps en y laissant des traces qui brûlent le cœur. La vérité des sentiments est parfois cruelle car lorsqu'ils se révèlent ils expriment des mensonges trop longtemps enfuis au fond du cœur de l'autre. Les actes et les mots d'amour se révèlent parfois être des artifices. Et ces trois éléments portent au grand jour une trahison des sentiments qui brûlent l’ego le moins sensible. Et le mien l'est trop. J'ai été chassé par l'autre avec ton consentement, comme s’il était chez lui. Il s’est imposé en maître dans ta maison qui est devenue la sienne. Posant ses chaussures sur la basse table du salon. Répandant sa fumée écœurante partout. Installant son outil de travail dans ton bureau d’où il avait été en principe exclu définitivement quelques semaines auparavant. Je me suis retrouvé dans un abyme d'incompréhensions et de chagrin. Le cœur brisé tel un verre cassé qui répand au sol ses milles débris. On tente de les ramasser pour ne pas les laisser là dans l’espoir fou et insensé de les recoller. Et l’on se coupe à coup sûr sur les arrêtes tranchantes de la douleur.
Je ne te tiendrai donc plus la main pour une promenade dans les rues et la plage de ta ville. La pluie se déverse sur moi, mais elle ne me lave pas les larmes qui coulent de mes yeux rougis. L'hiver a remplacé le printemps dans mon cœur. Il se glace d'effroi à cette pensée unique « pourquoi ? » Et il ne cherche pas de réponse car il ne vit que le mot « trahison ! ».
Je pars donc dans cette contrée obscure et glacée où le vent froid un nord pétrifie les cœurs et les âmes, même ceux des plus endurcis. Où la confiance en l'autre disparaît pour toujours du langage commun. Où le mot amour se vêt des habits du mensonge.
J'entame alors ma ballade d'hiver.
Erick E.°.
Ce soir là, je ne m'attendais pas à toi. Je ne m'attendais pas à ta venue. Je ne m'attendais pas à cette nuit qui allait changer ma vie, faire chavirer mon cœur et bouleverser mon existence.
Étrange début que nous, t'en souviens-tu ? Pour faire moderne, nous nous sommes rencontrés sur un site. Quelle étrange idée en effet ! Moi qui était si sollicité par mon implication dans la vie locale, et toi qui par ton travail l'était tout autant. Et pourtant ! Pourtant nous avons fait cette inscription chacun de notre côté au cas ou...
Je t'avais remarqué dans cet étalage qui commençait à m’écœurer. J'avais l'impression d'être chez le boucher et j'étais prêt à cesser ma démarche. Ta photo qui s’affichait sur ton profil te donnait un air « halluciné » peu engageant. Je peux bien te le confesser aujourd’hui. Ce sont les mots que tu avais rédigés pour te présenter aux regards avides qui m'ont convaincu de t'écrire.
Tu as répondu à mon message, puis à d'autres. Et moi je répondais aux tiens. Enfin, nous nous sommes rapidement parlés au téléphone étonnés d'être voisins sans jamais s'être croisés dans les rue de notre petite ville. Il y eut tout d'abord des échanges standards, puis plus profonds sur la vie et sur nos vies respectives.
J'aimais entendre le son de ta voix, et aujourd'hui encore tout autant. Il y a une douceur suave et envoûtante en elle, une franchise des mots et une certaine économie des émotions qui transpirent malgré tout. Il y eut des rires, de l'intensité et un éveil à quelque chose qui pointait le bout de son nez de l'obscurité qui était la nôtre, qui restait indéfinissable et pourtant tellement présent.
La fête de la musique arrivait. Mes obligations rendaient ma présence un peu obligée de l'autre côté de la rivière. Je t'ai proposé que l'on s'y retrouve et que l'on s'y rencontre pour de vrai. Tu as hésité et tu as décidé, pour une raison que j'ai oublié aujourd'hui, de ne pas venir.
Il pleuvait ce soir là. J'ai traversé le pont sous mon parapluie dans une main, et mon téléphone dans l'autre collé à mon oreille gauche relié à ta voix. Nous parlions de tout, de rien, de la vie. Presque arrivait à la salle, je me suis assis à couvert sous l'abri-bus afin de continuer à converser avec toi. Tu avais un sujet qui te préoccupait, Cloé ta fille cadette partie la veille avec son père. Je te répondais et j’écoutais ta voix qui coulait en moi avec les effet du divin nectar. Je me sentais un dieu assis sur l’Olympe. Le temps s’était suspendu un instant ou une éternité. Je ne sais plus.
C’est un collègue qui m’a sorti de cette douce torpeur, il fallait que j’y aille. Je t’ai dit bonne nuit à regret. Mes fichues obligations. J’ai maudit ce moment de séparation contrainte.
Je suis arrivé dans la salle. Il y avait de la musique, des gens, des verres pleins et vides, un repas, des rires et des sourires, et une ambiance légère dans laquelle j’avais du mal à plonger pensant à toi et à cette rencontre manquée.
J’ai rompu au rituel des mains serrées, des mots de politesse et de convenance, des réponses à des questions municipales. Et j’ai entamé une conversation avec une jeune femme, Élisa, sur le retour qu’elle me faisait du festival qu’elle présidait et qui s’était déroulé la semaine d’avant.
Pendant cette discussion j’ai senti un regard posé sur moi. Mais qui ? Il y avait tellement de monde. La pénombre n’aidait pas non plus à voir, et moi qui suis myope cela ne m’arrangeait pas.
Je n’ai pas senti la vibration de mon téléphone m’indiquant que je venais de recevoir un message. Les vagues sonores de la musique couvraient l’alerte. C’est un ressenti qui m’a poussé à regarder. Et j’ai découvert des mots de toi. Tu étais dans la salle à observer ma discussion avec la jeune femme. Mes yeux sont passés de l’écran à toi en une seconde, avec un effet de ralenti comme dans un film. J’ai senti automatiquement où tu étais. Étrange phénomène au milieu de tout ce monde, du bruit et du manque de lumière que de te trouver ainsi, comme l’effet du Pôle Nord sur l’aiguille d’une boussole qui me dirigeait vers toi. Comme si tout l’univers avait conspiré à cette rencontre de toi.
J’ai remis mon téléphone en poche et je me suis dirigé tout droit vers toi. Tu m’adressais un rire et un sourire presque gênés d’être là, découverte à mon regard. En m’approchant j’ai constaté que la photo ne te rendait pas hommage. Je pouvais mieux voir des cheveux ondulés aux reflets roux, et surtout tes yeux bleus si intenses et pétillants.
Je t’ai dit “Bonsoir !” en t’embrassant sur les deux joues, tu en fis de même. Je me suis assis en face de toi, du même côté de la table où tu étais installée. Tu étais enveloppée dans ce grand gilet gris comme pour te protéger. Nous avons parlé encore, comme nous le faisons depuis, de tout et de rien. De ce qui est important et de ce qui est futile. Du temps qui passe et de nos rêves. Nous avons parlé du corps et de l’esprit. Il y eu le début d’un échange mutuel en direct cet fois-ci, qui toujours est resté ainsi entre nous depuis ce soir là.
La soirée touchait presque à sa fin, tu m’as raccompagné chez moi dans ta voiture afin de m’abriter de la pluie qui tombait encore. Tu n’avais pas voulu braver la pluie à pied comme moi. Quelle bonne idée avais-tu eu là !
La conversation a duré encore jusqu’au lever de soleil où alors je t’ai embrassé sur tes lèvres si douces et humides. Et nous sommes restés ensemble pour prendre le petit déjeuner côte à côte dans mon appartement.
Après ? Après la suite est une intimité qui ne regarde que nous. Elle a simplement révélé la justesse des impressions mutuelles qui nous font encore aujourd’hui ressentir ces papillons dans le ventre.
Cette soirée s’est déroulée il y a bientôt trois ans. Depuis nous vivons ensemble et le rêve vécu cette nuit d’été perdure. Il y a eu des hauts et des bas comme dans chaque couple. C’est la vie.
Depuis tu m’as donné deux enfants. Deux filles qui étaient déjà là avant notre rencontre et que j’aime car elles sont une part de toi, la part la plus merveilleuse et magique.
Chaque jour qui se lève je te regarde et je vois le même regard et le même sourire que le premier soir. Chaque nuit qui arrive est porteuse de ce premier matin que nous avons partagé.
Tu es mon rêve réalisé. Tu es ma part que je ne négocie pas avec les autres et mes obligations. Tu es mon amie accueillante, mon amante sensuelle et ma caresse apaisante.
Et cela ne me suffit plus aujourd’hui. Non ! Il manque une chose essentielle, primordiale qui m’empêche de continuer ainsi avec toi à avancer sur ce chemin de vie. Il manque le symbole de notre amour. Il manque la marque de notre amour. Il manque le serment de notre amour.
Voilà pourquoi je te demande de devenir ma femme et que je devienne ton homme. Que je te présente aux yeux de tous, non comme ma compagne, mais comme mon épouse. Que le serment échangé nous transporte jusqu’aux portes de l’éternité, après nous, après la vie, après le temps.
Ton “oui” comblera mon rêve de toujours, celui de vivre ainsi auprès de celle que j’aime de toute mon âme et sans retenues aucunes. Ton “oui” ne sera que le début d’une autre histoire à partager ensemble. Ton “oui” sera la pierre fondatrice de notre avenir commun. Ou cette clef de voûte qui parachèvera la construction de l’édifice que nous bâtirons ensemble.
L’univers n’aura pas travaillé en vain à nous réunir. Nous pourrons alors nous fondre en lui.
Mais il manque la question… “Veux-tu devenir ma femme ?”
Erick E:.
Nous sommes dans l'après-midi du 06 juillet 2017 si j'ai bien tenu à jour mon calendrier. Le soleil est encore haut dans le ciel, et il se reflète dans la mer, la faisant briller de centaines d'étincelles d'argent à sa surface. Un goéland passe au-dessus de ma tête suivi par un second qui crie et semble vouloir le rattraper. Le premier tient un poisson bleuté dans son bec et son congénère tente de le lui chaparder dans les airs. Tous les deux entament une danse aérien en déployant leurs grandes ailes. Ce ballet gracieux et léger n'en est pas moins cruel puisqu'il s'agit de manger pour ne pas mourir. Finalement, après la terrible et vitale lutte, l'assaillant abandonne et se pose sur un rocher non loin de moi.
Je le vois avec son air penaud. Puis il tourne sa tête deci delà à la recherche de quelque chose. Après un court instant, il s'arrête net, le regard fixe. Il plonge soudainement son bec jaune entre deux rochers et en extirpe un gros coquillage blanc et gris à la coque robuste. Il le pose sur la roche volcanique noire et le test de la pointe de son bec. "Toc ! toc !" Le mollusque est résistant. Le goéland molluscophile l'attrape et s'élève dans les airs de deux ou trois mètres. Puis il le laisse tomber sur une roche plate. Et il recommence. "Poc !" Et encore. "Poc !"
Après plusieurs tentatives la coque cède enfin offrant un repas durement gagné. Le volatile mange la chair flasque par petits bouts. Plus de cinq minutes de lutte pour une minute de dégustation. Un peu comme lorsque je faisais un repas et que j'y passais du temps pour qu'il soit rapidement englouti par mes amis.
Finalement, ce spectacle m'a fait un peu oublier le temps et les soucis. Un peu seulement. Car les anniversaires ne c'est plus mon truc. Je n'y trouve plus aucun plaisir. L'esprit de commémoration n'est plus une chose importante depuis cinq ans. Comme toutes les autres fêtes d'ailleurs.
Cela fait donc cinq ans aujourd'hui que j'ai été débarqué sur cette île et je ne vois pas l'intérêt de fêter ça !
Depuis qu'elle est partie sans une explication mon âme et mon cœur ont chaviré dans les ténèbres en y entraînant mon corps. Ils ont été engloutis dans les eaux
froides et sombres emportant avec eux quelques certitudes et espoirs.
Être père a toujours été un vrai désir profondément ancré en moi. Je me rêvais au milieu de trois, quatre, cinq ou six enfants. Avec une femme qui les aurait
portés. Et ce rêve s'est brisé lentement et sûrement., disloqué, fracassé sur les rochers du Cap de la Réalité. Plus de rêve de famille nombreuse et heureuse, juste une âpre réalité et des
espoirs enfuis.
Depuis, je suis sur cette île déserte où je meurs peu à peu, étiolant mon âme, mon cœur et mon corps. Les pensées les plus noires ont parfois surgi dans mon esprit meurtri. Puis s'en sont allées laissant des sillons profonds et douloureux. Car la vie peut être cruelle parfois.
Lorsque l'on est rejeté sur une île déserte que peut-on faire ? Tout d'abord l'on s'étonne d'avoir amerri là après une terrible tempête encore en vie. Surpris d'avoir réussi à nager jusqu'au rivage. On s'étale alors sur le sable humide totalement épuisé, en quête d'un peu de repos. Puis l'on se redresse et l'on cherche des débris, des restes du naufrage afin de comprendre et se remémorer les événements. On en trouve, on les accumule... mais ils rappellent trop le naufrage. On espère un temps qu'ils nous permettront de construire un radeau de fortune afin de nous évader. Mais comment construire avec des débris ? On constate l'absurdité de la démarche. On se dit donc :"Je les mets de côté pour les oublier ! Je les cache pour ne pas y penser !" Enterrés dans le sable, le mouvement perpétuel de la mer les fait constamment émerger de leur tombe. Ils sont donc là. Pour toujours. Pour toujours ?
Puis l'on fait le tour de l'île. On l'explore à la recherche de ce qu'il faut pour survivre On trouve. Un peu ou beaucoup en fonction de la chance que l'on. Après ? On s'organise. On prends quelques vestiges du passé que l'on déterre, et ce que l'on trouve sur place pour organiser sa survie : un toit, un lit et des occupations. Enfin, on cherche à se signaler pour trouver de l'aide et échapper à cette île-prison.
C'est un travail long, difficile et qui bouscule surtout lorsque l'on voit des navires au loin qui passent et croisent. Ils ne vous voient pas. Ils vous ignorent. Certains, avec un sourire charmeur et des yeux de braise, vous font espérer un sauvetage qui n'arrive jamais.
Puis, un denier soir de printemps, après une averse, une voix souffle d'un bateau noir. L'espoir renaît enfin ! L'envie aussi de s'échapper enfin ! Sauf que... Sauf que les débris accumulés et enfuis sont là, comme autant de pièges et de chaînes aux maillons solides. On s'élance surchargé vers cette bouée et l'on tombe au sol, fauché par ses lourd fardeaux. On l'entend dire :"Laisse-les là ! Ou ils t'emporteront dans le monde d'Adès !"
On pense être plus fort que cela. On espère que ces dépouilles vont renaître de leurs cendres. Même si l'on sait a fond de soi que ces symboles n'expriment que de la souffrance à résoudre, des blessures à guérir. Alors, on ne comprends pas tout. Car il existe vraiment un espoir fou et vain dans les recoins de notre esprit. Sauf que non ! La vacuité de ces espoirs vous explosent un jour en plein visage.
Un matin l'on se réveille et l'on prend conscience de l'absurdité de tout ceci. De l'inutilité de ses propres espérances morbides. Et l'on décide de les laisser là. De les abandonner car ils ont devenus des objets vains et absurdes autour desquels l'on ne peut bâtir sa vie. Alors on décide de les lâcher. De les laisse là, pour vivre pour soi et non pour des dépouilles de l'idée de son enfance.
Le jour de ton anniversaire, le jour où tu es devenue une adulte, je n'étais pas là. J'étais en train de partir de mon île vers un horizon.
Ce jour là, je n'étais pas triste. J'étais juste dans l'espérance que tu passes une bonne journée. J'étais presque sans émotions. Non que je ne t'aime pas. Je t'aimerai toujours d'un amour inconditionnel.
Sauf que... sauf que j'ai d'autres amours à vivre. Celui que je retourne vers moi, et celui que je veux retourner vers une autre.
Donc je jette à la mer cette lettre que je glisse dans un bouteille dans l'idée qu'un jour elle trouve un écho.
De mon bateau que j'ai construit avec du bois de l'île, je la vois emportée par les vagues qui l'éloignent de moi. Et cela me rempli de joies.
Quoiqu'il en soit, c'est bien ainsi, et c'est bien pour moi.
A toi dont j'ai croisé le sourire et le regard un soir de pluie, je suis en chemin et nos routes pourraient se croiser si tu le veux. Et faire naître des soleils dans nos cœurs.
J'avance sur les eaux calmes et vastes d'un océan apaisé et amical. Un Océan qui m'est enfin pacifique.
Erick E.°.
C’était du temps du jeune roi lépreux qui régnait sur la cité céleste. C’était au temps des guerres contre ceux que l’on nommait les infidèles. C’était un temps de batailles, de fureurs et de bruits secs du fer entrant dans les chairs. C’était un temps où les hommes se battaient et s’entretuaient au nom d’une religion. Un temps que tous espéraient voir s’éteindre un jour. Un jour qui viendrait après le jugement dernier, où les actes de tous les humains seraient jugés. Un jour où Dieu et le Diable pourraient se partager le monde. Les âmes noires et putrides d’un côté, et les âmes pures et blanches de l’autre.
Les trompettes des anges, accompagnant les nuées, précéderont la descente de Dieu depuis le ciel en compagnie des archanges et des anges. Et des profondeurs de la terre, les tambours en peau d’homme, résonneront à en faire trembler les montagnes et les forêts.
C’était un temps où un chevalier parcourait les chemins de Palestine en quête d’un seigneur à qui louer ses services et ses armes. Il se nommait Aymard de Fleury. Il voyageait toujours seul sur son destrier. Il était grand pour son époque, dépassant les autres hommes d’une bonne tête. Parfois plus. Blond comme les blés d’été, il avait le regard bleu azur, un regard qui se confondait avec le ciel de ces contrés d’Orient. Son corps était robuste et ses bras noueux, le corps d’un homme rompu aux combats violents de cette époque dangereuse et brutale. C’était un homme très beau qui attirait le regard des femmes et des hommes.
Le chevalier Aymard n’était pas très regardant à propos de ses employeurs. Ni à propos de leurs motivations profondes. Il n’était pas regardant non plus à propos de la religion de son employeur. Occire chrétiens ou infidèles, cela lui importait peu. Le jaune de l’or éteignait tous éveils de sa conscience. Et pour lui, la question ne se posait pas. Nombreux chevaliers ou faris faisaient de même sans y voir aucun mal.
Le voilà donc chevauchant sur la route qui mène à Jaffa un matin d’hiver. Il vient de finir un emploi auprès du Vicomte Gilles de Carcès. Il fallait châtier un groupe de villages infidèles qui refusaient de payer les taxes à son seigneur chrétien. L’affaire fut rondement menée. Les récalcitrants passés au fil de l’épée, les nouvelles veuves violées et éventrées, les nouveaux orphelins réduits en esclavage. Il suffit maintenant au sire de Carcès d’installer des paysans et des artisans chrétiens sur les terres nouvellement libérées.
Aymard se retrouve aujourd’hui avec une bourse pleine et un nouvel emploi à Jaffa auprès d’un seigneur nommé Farouk ibn-Abdallah el-Mansour.
Le soleil est au plus haut de sa course dans le ciel lorsque le chevalier rentre dans un village aux murs blancs. Un chien à sa droite aboie et annonce à tout le village l’arrivée d’un étranger. Les femmes et les enfants se précipitent pour gagner leurs abris telles des souris regagnant leur trou respectif à la vue d’un gros chat. Les hommes regardent d’un air méfiant l’homme en arme à cheval qui s’avance lentement. Ceux qui ont en main un outil le serrent fermement, prêt à en découvre. Les gens de ses contrées sont devenus naturellement méfiants. Trop de malheurs émaillent le chemin des hommes en arme, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Les simples gens payent toujours le prix du fer et du sang, et parfois un simple geste mal interprété entraîne des conséquences funestes. C’est un temps très dur pour les gens du commun.
Aymard toise de sa hauteur les vulgaires. Les sabots ferrés de son cheval raisonnent sur le sol de terre battue qui n’a pas vu de pluie depuis des mois. Les pas et le souffle des naseaux de son cheval sont les seuls sons qui couvrent difficilement les battements des coeurs inquiets des villageois.
Aymars s’avance jusqu’au milieu du village. Là se trouve le puits commun. Il descend de cheval et l’attache à l’arbre dépouillé qui borde le point d’eau. Il s’avance, prend le seau attaché à la corde et au chadouf, et le plonge vers le fond. Le choc du seau dans l’eau est soudain, signe que le précieux liquide n’est pas loin. Le chevalier attrappe le contrepoids et remonte l’eau. Il porte le seau à sa bouche pour y boire une eau fraîche. Rassasié, il replonge le récipient et extrait de l’eau pour son cheval.
Il n’a pas aperçu le vieil homme assis au sol et adossé à l’arbre. Le vieillard semble assoupi. Vêtu d’un habit long en toile écru, il porte une sorte de chapeau en jonc et tient à la main gauche un morceau de bois qui doit lui servir de canne.
Sans lever la tête le vieil homme s’adresse au chevalier.
“Donne-moi un peu d’eau mon fils !”
Aymard le regarde très surpris d’un air hautain.
“Viens la chercher toi-même vieillard !”
“Je croyais que les chevaliers chrétiens étaient liés par serment à servir les plus faibles. M’a-t’on trompé sur vous ?”
Avec un air de dépit dans la voix : “Fadaises que cela ! As-tu de l’or pour que je te serve ? Je ne le crois pas ! Le chevalier que je suis ne sert pas les manants de ton espèce !”
Le vieil homme n’a toujours pas relevé la tête : “En effet mon fils, je n’ai pas d’or sur moi. J’ai mieux que cela.”
Aymard mi surpris mi amusé : “Toi ! Allons vieillard. Cesse tes paroles stupides ou je te fais taire à jamais !”
“Tu as grand tort de te fier à ma simple apparence. Regarde donc au fond du seau et tu comprendras que l’apparence est trompeuse.”
Aymard arbore un rictus moqueur. Pourtant, le doute lui fait regarder au fond du seau. Il voit alors, à la place de l’eau claire et limpide, un liquide rouge et épais qui sent les épices. Du vin !
Surpris, il jette prestement le seau au sol où le liquide se répand.
“Qu’est-ce donc ! Sorcellerie que cela !”
Il dégaine son épée prête à embrocher le vieil homme qui porte enfin son regard vers lui.
“Tu utilises des mots hors de propos mon fils. Tu crois qu’un homme a pu le faire lors d’une noce à Cana. Et tu doutes que cela soit possible ici ?”
Interloqué le chevalier a retenu son geste : ”Qui es-tu vieillard ?”
Sous le chapeau en jonc un regard bleu acier observe le géant blond. Et un sourire encadré par une barbe en forme de bouc laisse apparaître des dents d’une blancheur laiteuse.
“Je ne suis pas l’homme de Cana. Mais je le connais. Nous avons le même père. Un père pas très reconnaissant envers ses fils il faut bien le dire.”
Le chevalier recule d’un pas comme sous l’effet d’un coup qui lui est porté : “Par tous les saints… qui es-tu donc ?”
Le vieil homme se relève alors sans l’aide de son bâton. Aymard découvre un homme aussi grand que lui, dont le visage sans ride trouble son esprit.
“Les hommes au fil du temps m’ont donné plusieurs noms. Toi, Aymard, tu me connais sous le nom de Lucifer.”
Aymard relève son épée : “Cela ne se peut ! Et comment connais-tu mon nom !”
“Comment peut-on croire en l’existence de Dieu et se troubler en ma présence ? Les humains me surprendront toujours.”
Faisant un geste en sa direction avec son bâton : “Tu peux la rengainer elle ne te sera d’aucune utilité contre moi. D’autres avant toi ont tenté leur chance et en ont payé le prix.”
Aymard est comme pétrifié. La peur, le doute et la surprise envahissent tour à tour son esprit. Il perd le sens du réel et de ce qui se passe autour de lui. Toute son attention est dirigée vers la personne qui lui fait fasse. Un peu par instinct du guerrier, un peu par instinct du croyant.
Balbutiant : “Le Diable !”
“L’on me nomme aussi comme cela !” S’avançant d’un pas vers lui : “Ne crains rien. Je ne suis pas là pour ton âme. Elle m’est acquise depuis longtemps.”
Aymard à toujours la main sur la poignée de son épée, et semble encore plus troublé : “Co… Comment cela… ? Mon…”
“Oui ton âme ! Elle est déjà mienne. Tu en doutes ?”
Le chevalier a le regard marqué par la peur.
Le Diable je lisse la barbe avec sa main droite. “Allons Aymard ! Tu occis depuis des années toutes êtres qui te résistent un peu sans te soucier du sexe ou de l’âge de tous ces humains. Crois-tu que Dieu attende cela de toi ? Que nenni !”
Toujours aussi troublé Aymard répond : “Mais, j’agis au nom de la vraie Foi !”
“La seule vraie Foi, mon fils, est celle qui place les humains au-dessus de toutes considérations. Celle qui privilégie la Vie, et non la mort. Crois-moi, je l’ai appris à mes dépens le jour où je vous ai apporté la lumière du feu. Aujourd’hui mon châtiment et de vous infliger les vôtres, en son nom à lui.”
Le Diable vient s’asseoir sur le rebord du puits sous le regard médusé d’Aymard.
“Je ne suis pas là pour venir te chercher. Ton heure n’est pas encore venue. Je suis venu te proposer un marché. Le prix en sera le suivant, soit tu acceptes et tu auras encore plus de pouvoir, je peux même te promettre que tu ne verras jamais l’enfer. Soit ta fin est proche et je viendrai prendre ton âme moi-même afin de l’emporter au fin fond de mon royaume. Qu’en dis-tu ?”
Aymars laisse ses bras ballants, la mâchoire inférieure pendante : “Qu’attends-tu de moi ?”
“Ah ! Enfin tu te décides à ouvrir ton esprit à mes paroles. Mon fils, tu réjouis mon coeur. Et crois-moi, le Diable a aussi un coeur.”
Lucifer se relève et s’avance vers Aymard : “J’ai besoin de guerriers dans une bataille qui s’annonce, et tous portes-glaives dignes de ce nom, comme toi, sont les bienvenus dans mes armées. Es-tu prêt à ce combat ?”
Le chevalier semble hésiter un instant, puis se ressaisit. Voici enfin des paroles qui lui parlent.
“Contre qui dois-je porter les armes ?”
Le vieillard feint la surprise : “Depuis quand te soucies-tu contre qui tu vas croiser le fer ? Je te connais une conscience moins regardante. Si cela peut te rassurer tu auras autant d’or qu’un homme peut en rêver.”
“C’est que l’enjeu est différent là. Il s’agit de mon âme et non plus simplement d’or et de gloire.”
“Qui te dis qu’il n’y aura pas de gloire à combattre dans mes armées ?”
“Soit ! Je veux bien le croire. Mais porter les armes contre Dieu lui-même est une chose que mon esprit se refuse à imaginer.”
“Qui te dit que tu vas porter les armes contre Dieu ? Je te rappelle qu’il est mon père. Et si Oedipe a tué le sien, je ne le peux et le veux pas !”
Aymard réfléchit sous le regard amusé de Lucifer. Il pèse le pour et le contre. Il a bien saisi que d’un côté Belzébuth est prêt l’emmener avec lui au fin fond des entrailles de la terre, et de l’autre côté il n’a qu’à faire ce qu’il sait le mieux faire, c’est-à-dire la guerre. Avec en prime la certitude de ne pas aller en enfer et d’être couvert de gloire et d’or.
Le chevalier s’adresse au vieillard : “Qui me dit que je peux te faire confiance ? Tu es le Diable après tout, et tu peux vouloir me tromper !”
“En effet ! Tu ne peux avoir de certitude sur la parole que je te donne. Alors, nous allons avoir recours aux bons vieux procédés, un contrat.”
Le Diable sort de l’une de ses manches un parchemin roulé qu’il déploie d’un geste, et le présente aux yeux d’Aymard.
Celui-ci s’avance pour le contempler et en lire scrupuleusement toutes les lignes.
“Tu peux le prendre en main. Tu ne crains rien.”
Le chevalier le prend entre ces deux mains et lis. Ses lèvres bougent en lisant les mots écrits comme pour renforcer l’attention de sa lecture. Une fois lu, il recommence au début afin de s’imprégner de chaque mot. A la fin, il roule le parchemin et le tend au Diable.
“Je suis d’accord avec les termes de ce contrat !”
“Il faut donc le signer tous les deux pour le valider, toi avec ton sang, moi avec le mien.”
Un peu surpris que le Diable puisse avoir du sang, Aymard acquiesce de la tête. Lucifer sort alors de son autre manche une plume d’argent qu’il tend à Aymard tout en déployant à nouveau le parchemin. Aymard prend la plume entre les doigts de sa main droite, se pique la main gauche pour en faire couler le sang, et prend appui sur le muret du puits pour signer.
“Voilà mon engagement ! A toi !”
Le Diable fait de même et appose sa signature au bas du parchemin. Puis il le roule et le glisse dans la manche d’où il l’avait fait sortir.
“La chose est donc conclue, j’en suis ravi. Tu es une recrue de choix pour mes armées. Je suis assez fier de moi !”
“Tu va tenir ta promesse ?”
“Le Diable n’a qu’une parole tu vas t’en rendre compte.”
Le vieillard jette alors au loin son bâton et de dépouille de son vêtement en un instant. Il apparaît alors en armure rouge éclatante. Les jointures sont rehaussées d’or. Il paraît magnifique sous le soleil.
Aymard regard son nouvel employeur avec surprise, envie et émerveillement.
“Il est temps pour nous deux d’y aller. Tu es prêt ?”
“Comment ? Maintenant ?”
“Mais oui ! Tu as autre chose à faire ? Non ! Alors il est temps. Nous allons être en retard, tout va commencer.”
Le Diable claque dans ses mains. Un brouillard se forme et les enveloppe tous les deux.
Lorsque Aymard émerge peu à peu du brouillard, il se retrouve sur un terrain plat en terre battue de couleur ocre. Il entend des cris qui lui parviennent de toutes parts. Il dégaine son épée à tout hasard.
Le brouillard se dissipe un peu plus. Il distingue des formes et tous ses muscles se tendent prêt pour un assaut à recevoir ou à donner. Il fait danser son épée pour en retrouver l’équilibre afin de frapper fermement l’ennemi qui pourrait surgir.
Les formes prennent figure humaine et ce que voit Aymard le déconcerte totalement. Il ne comprend pas ce qu’il voit. Il ne reconnaît rien de ce qu’il voit. La seule chose qui lui soit familière est de trouver face à lui un faris tout aussi décontenancé que lui par la situation.
Au-dessus de leurs têtes des boîtes projettent des lumières tel des rayons du soleil dans leur direction. La terre battue est contenue dans une enceinte de taille réduite aux murs noirs et brillants. Tout autour, des gens bizarrement vêtus sont assis et regardent vers le centre, vers eux. Cinq silhouettes se tiennent debout avec entre leurs mains, et plaquée contre leur tête, une grosse boite noire reposant sur un pied sombre. Les boîtes noires les fixent et les observent grâce à une lentille de verre en leur centre. Tel l’oeil d’un cyclope. Tous les regards qui se posent sur eux sont remplis d'excitation et de nervosité.
Une voix vient résonner dans les oreilles des deux guerriers.
“Mesdames et Messieurs ! Soyez les bienvenus dans la cinquième saison de “Qui sera le dernier combattant !” Je vous rappelle que vous disposez tous sous vos sièges de deux panneaux de couleur pour désigner votre champion qui remportera alors la somme fabuleuse de 10.000.000,00 de dollars !”
La dernière syllabe se perd dans un écho qui ne semble plus finir. Un homme en costume rouge rehaussé d’or se redresse, il prend un petit bâton dans sa main droite. Aymard reconnaît en lui le Diable.
“Que le spectacle commence ! Combattez !”
Les deux guerriers s’élancent l’un vers l’autre en brandissant leur épée sous les cris de joie des spectateurs de cette nouvelle émission de télé-réalité.
Erick E.°.
“ Non ! Tu sais bien que ton père n’a pas son nom inscrit sur le monument auprès des autres morts à la guerre. “ Pour la petite fille, c’est comme si père avait disparu sans jamais laisser de trace.
La petite fille a pourtant mis sa plus jolie robe, celle qu’elle porte le dimanche à la messe, et qu’elle a mise au mariage du cousin de sa mère, Paul Lavergne. Un homme qui est revenu défiguré de la guerre, mais en vie ! Et qui a trouvé une femme à épouser au village. Les hommes vivants et en âge de se marier sont une denrée rare depuis la fin de la guerre.
Au mariage, la petite fille et sa mère ont été reçues avec un peu de déférence, mais sans plus. Julie, du haut de ses sept ans, a bien perçu des ricanements et des regards hostiles. C’est son lot quotidien, même à l’école. Les enfants peuvent être cruels entre eux. Et dans une France encore marquée par l’esprit national, sa situation éveille l’antipathie. Dans la cours de son école, les autres enfants lui ont donné le surnom de la “fille du lâche” et l’appellent également “Julie la lâcheuse !”.
Elle en pleure le soir sous ses draps, dans son lit. Sa mère perçoit ses sanglots étouffés. Elle même cache les siens à sa fille. La vie d’une femme de fusillé n’est pas facile dans les campagnes françaises en cette année 1920. Seule, elle doit faire face à toutes les difficultés et s’occuper de sa fille sans le père.
Julie dépose pourtant son bouquet de fleurs qu’elle a cueillies elle-même ce matin au pied du monument aux morts. Comme chaque année, à la date anniversaire de la mort de son père, elle répète ce geste. Même si elle sait que le cantonnier va venir les enlever plus tard. Comme toutes les années.
Son père est mort le 04 avril 1916 du côté de Verdun dans une forêt toute sombre aux grands sapins noirs, seul.
Julie sait tout de la mort de son père. Elle sait aussi qu’un jour il lui sera rendu justice. C’est Firmin Letellier, un camarade de régiment de son père, qui a tout raconté à sa mère et à elle.
Assis autour de la table de la cuisine, Julie vient de finir ses devoirs de classe. La soupe mijote paisiblement sur le feu du poêle à bois. Elle sent bon les légumes du jardin.
Firmin a frappé à la porte ce soir de printemps du mois de mai. Il s’est présenté et a dit simplement
“Je viens vous dire la vérité sur Jacques, votre mari ! Ce n’était pas un lâche !”
Anne lui a ouvert la porte en grand et sans un mot l’a invité d’un geste de la main à entrer dans la maison. Elle l’a assis autour de la table en demandant à Julie de ranger ses affaires d’école. La petite fille a rapidement déposé ses affaires dans sa chambre avec des battements intenses de son coeur dans poitrine d’enfant. Un homme vient nous parler de papa ! Elle a donc très vite monté les escaliers et tout aussi rapidement dévalé les mêmes marches. Au risque de tomber et de se faire mal.
La mère sort alors un verre et une bouteille de vin blanc. Firmin boit lentement, par accoups. Il n’a pas commencé à parler. Julie est rassurée. Elle ne veut pas perdre un seul mot d’un homme qui a plus passé de temps avec son père qu’elle même.
Le silence et l’attente sont lourds et pesants. Seul le “Tic ! Tac !” de l’horloge peut s’entendre. Et pourtant, en écoutant bien, on peut entendre les battements battre la chamade dans les coeurs d’Anne et Julie.
Firmin repose son verre vide sur la table et racle sa gorge afin d’éclaircir sa voix. Toute l’attention de la mère et de la fille se porte sur les lèvres de Firmin. Sa fine moustache tressaille légèrement. Et l’homme assis en face d’elles parle. Il raconte la véritable histoire de Jacques, son ami de régiment.
“Ce que je vais vous dire est sous le sceau du secret le plus absolu. seules quelques personnes sont au courant de toute l’histoire. Surtout des généraux de notre armée.
Jacques n’était pas n’importe quel soldat. Sa parfaite connaissance de l’allemand a rapidement attiré l’attention de notre colonel pour qui il interrogeait les prisonniers. Le colonel a fait remonter l’information plus haut, et ainsi de suite jusqu’au Ministre de la Guerre lui-même.
Nous étions à Verdun lors de l’attaque de février des Allemands. Un peu en arrière de la ligne de front, en seconde ligne. Jacques avait été appelé deux jours auparavant pour interroger des Alsaciens qui avaient déserté les lignes ennemies. Et ce que Jacques rapportait nous est arrivé comme un coup de massue. Nos généraux savaient que l’attaque était proche et qu’elle promettait d’être foudroyante. Ils n’ont pas voulu croire à cela. Alors, lorsque les obus ont commencé à pleuvoir partout et à déchirer la terre et les chairs, ceux d’en haut n’ont pas voulu que tout le monde sache qu’ils avaient été prévenus.
Diable ! C’est qu’ils se sentaient tellement importants et infaillibles tous ces messieurs bien planqués !
Le massacre a donc commencé. Méthodique, comme les Allemands savaient le faire. Nous autres, nous avons résisté. Et bien résisté ! En face, ils ont cru qu’ils avanceraient tranquillement comme pour une balade au milieu des champs. Et bien non ! Nous les avons couché au sol, morts ! Tac ! Tac ! Tac !”
Firmin mime le combat ce qui effraie un peu Julie qui se réfugie dans les bras de sa mère.
Puis, Julie regarde Firmin avec ses grands yeux verts, imaginant parfaitement les scènes que l’homme lui raconte. Elle voit son père, le fusil à l’épaule, tirer sur les ennemis de la France. Tirer sur les masses compactes qui avancent vers lui. Et il les arrête net !
Anne voit son époux dans la forêt, le regard terrifié par les hordes qui s’avancent vers lui. Elle le voit trembler tout en tirant et l’entend évoquer son prénom et celui de Julie. Elle l’entend leur dire qu’il les aime.
“Jacques était tel un lion. Il allait d’un point à un autre, encourageant nos camarades. Nos officiers étaient presque tous morts. Alors, avec son naturel allant, il a pris le commandement pour repousser l’attaque dans notre secteur. Nous autres, nous le suivions. Beaucoup l’auraient suivi en enfer s’il l’avait fallu. Mais l’enfer nous y étions déjà. Et grâce à Jacques nous en sommes tous sorti vivants. Enfin ! Pour cette journée. Car les combats n’ont pas cessé. Ils ont été encore plus violents les jours d’après. Les Allemands étaient furieux de notre résistance et de notre acharnement à ne pas mourir sans rien dire. Et votre mari, madame, ton père petite, il était toujours aussi vaillant et combatif. Toujours à nous soutenir sous le feu et le fer qui nous tombaient sur la tête.
Après quelques temps, nous avons enfin été relevés pour nous refaire une santé à l’arrière. Et c’est là que les problèmes de Jacques ont commencé.”
“Je peux avoir encore un verre de vin Madame ?”
Anne prend la bouteille devant elle et sert Firmin. Celui-ci porte le verre à sa bouche et avale d’un trait le liquide qui lui réchauffe le gosier.
“Merci ! Où en étais-je ? Ah oui ! Au mois de mars 1916. Le 24 pour être précis. Le colonel est venu voir Jacques le matin et lui a demandé de le suivre. C’était rare de voir notre colonel parmi nous. Mais nous étions épuisés et les questions lorsque l’on dort peu, elles ne vous viennent pas tout de suite.
Donc Jacques et parti à l’état-major. Il est revenu le soir très tard. Il m’a raconté, même s’il n’avait pas le droit de le faire. Ordre des généraux !
Mais Jacques était mon ami et avait confiance en moi.”
Les yeux de la mère et de la fille sont grand ouvert, leurs bouches suspendues à celle de Firmin, et les oreilles en alerte.
“ Il avait une mission, Jacques. Une mission difficile mais sacrément importante.”
“ Ca vous gène pas que je jure Madame ? Lorsque l’on passe 4 ans dans les tranchées on en oublie les bonnes manières.”
“ Non, Monsieur Letellier. Poursuivez je vous prie.”
“ C’est que je veux pas vous froisser, vous savez ?”
Firmin tend son verre, et Anne comprend qu’elle doit le remplir à nouveau.
“ Merci Madame !”
Firmin avale à nouveau le liquide avec la même rapidité.
“ On avait sacr… vraiment soif dans les tranchées. Là aussi, une mauvaise habitude de soldat.”
“ Pourriez-vous poursuivre Monsieur Letellier. Je vous prie.”
“ Biensur Madame. Donc Jacques me dit tout. Sa mission, mettre un uniforme allemand et aller espionner les tranchées adverses. Puis revenir pour tenir au courant les généraux des intentions de l’ennemi. Bref ! Une mission suicide.
J’ai toujours pensé que les généraux en voulaient à Jacques d’avoir donné les informations de l’attaque de février avant qu’elle ne se déclenche. Et qu’ils ont cherchaient à le faire taire. Mais bon ! C’est mon impression.
Donc Jacques, le 24 mars, s’habille en allemand. Un code lui a été donné pour revenir dans les lignes sans se faire tirer comme un lapin par l’un d’entre nous. Et Jacques est entré dans le no men’s land dont il est ressorti 10 jours après. Il est revenu avec un carnet où il a tout noté. En bon soldat, il a fait son travail. Et les informations recueillies ont sauvé plein de copains. Bref ! Un travail dur pour un héros. Sauf que… ! En revenant il est tombé sur une autre compagnie qui nous avait relevé la veille. Nous ont été contents de se reposer. Et nous n’avons pas pensé à Jacques. Pardi ! Nous ne savions pas quand il reviendrait !
Les copains qui ont pris notre relève l’on fait prisonnier. Lui, il a donné le mot de passe et tout. Il a dit pourquoi il était en uniforme allemand. Pourquoi il revenait de ligne ennemi. Pourquoi les généraux l’avaient envoyé là-bas. Bref ! Il a tout dit. Et le capitaine qui l’a écouté ne l’a pas cru. Et à ce moment là un bombardement a débuté. Jacques a crié qu’il devait avertir l’état-major au plus vite. Le capitaine n’a rien voulu savoir. Jacques a faussé compagnie à ses gardes qui l’ont poursuivi en lui tirant dessus. C’est là que Jacques a été blessé. Le capitaine, sous les bombardement, n’a pas voulu s’encombrer d’un prisonnier. Il lui a tiré une balle dans la tête !”
Anne et Julie font en même temps un bon en arrière et des larmes coulent de leurs yeux. Anne prend contre elle sa fille, comme pour la protéger et la rassurer. Elle passe sa main droite dans les cheveux blonds bouclés de Julie. Des caresses pour la tranquilliser.
“ Le capitaine avait gardé les papiers de Jacques. Juste pour le cas où. C’est un ou deux jours après qu’il a pris conscience de son erreur. Il a fait remonter l’information à un général, son père. Ce général était au courant de la mission de Jacques. Il a utiliser les informations recueillies et grâce à elles, nous avons repoussé une importante attaque allemande qui aurait pu nous emporter tous jusqu’à Paris.
Mais voilà ! Il y avait l’erreur de son fils. Et entre eux, ces gens là se protègent toujours. C’est ainsi depuis la nuit des temps et je crains que cela ne dure encore très longtemps.
Alors il a fallu inventer une histoire, une histoire quI faisait de Jacques un lâche ayant abandonné nos lignes pour rejoindre celles d’en face. Nous tous, au régiment, nous savions que Jacques n’était pas un lâche. Bien au contraire. Nous n’avons jamais cru à ces fables. Et c’est un caporal du même village que moi qui a tout vu, tout entendu et qui m’a tout dit. Alors ne croyez pas les histoires qui salissent la mémoire de Jacques.
Votre mari, ton père, était un héros. Un vrai héros.”
Firmin est reparti le lendemain matin laissant la femme et l’enfant dans une apaisante quiétude d’âme. Mon mari, mon père, n’est pas un lâche. Cette idée fait son chemin dans leur tête et rend l’absence plus supportable.
Depuis, ni l’une ni l’autre ne ratent le rendez-vous du 04 avril. Et ni l’une ni l’autre ne se soucient des paroles des autres. De ceux qui ne savent pas et qui parlent pour se rassurer eux-mêmes de leurs propres doutes.
24 ans plus tard, Julie est devenue elle aussi une héroïne. Et elle, les autres l’ont reconnu comme telle.
Puis elle est devenue une archiviste reconnue. Cela lui a permis de rechercher les documents et de porter au monde la vérité sur son père. Il a fallu encore des décennies pour que Jacques soit enfin reconnu pour ce qu’il était, un mari aimant, un père attentionné et un soldat qui a sauvé ses camarades de combats grâce à son action.
En 2008, en présence de Julie, le nom de Jacques a été gravé sur le monument aux morts, au milieu des autres tombés comme lui pour une idée simple, la Liberté.
Erick E:.