Chapitre 1
La razzia (1652)
Rodrigo a beaucoup de mal à dormir cette nuit. Le soleil est couché depuis de longues heures, mais il tourne et se retourne sur sa paillasse en tentant de trouver ce sommeil qui ne vient pas. Pourtant sa journée a été harassante et fructueuse.
Le matin tôt, juste après le lever du soleil, il a remonté ses filets pleins de beaux poissons argentés à la force de ses bras noueux. Une fois rentré, il a bien vendu ses sars et ses sardines au marché du village. Et il était épuisé avant d’aller se coucher après le repas.
Et pourtant il ne dort pas... (suite)
Chapitre 2
La chambre
En cette soirée de fin du mois de janvier 1686, la nuit froide est depuis longtemps tombée sur le château de Versailles. L’air glacial de l’hiver envahit rapidement les couloirs de la demeure royale. Il chasse le peu de chaleur que les laquais ont tenté toute la journée de maintenir en entretenant les feux des cheminées et des braséros. Le givre qui se forme sur les fenêtres rampe maintenant à l’intérieur de la bâtisse en profitant de tous les espaces libres pour se faufiler. Le silence règne. Toute la cour, endormie au fond de son lit, tente de se tenir à l’abri du vent vif et glacé qui a réussi à trouver son chemin jusqu’aux pieds des lourdes tentures des lits... (suite)
Chapitre 3
La fontaine
Plus âgé de trois ans, le Marquis Geoffroy de Cazalys est le seul allié et ami sincère du chevalier Villers de Barbazan à la cour du roi Louis XIV. Les deux hommes sont liés par le sang. Leurs mères sont sœurs, et leur prime enfance ils l’ont passé ensemble dans les champs de leur Sud-ouest natal près des deux hautes tours jumelles du château de leur grand-père maternel. Il est aussi devenu le giron qui les a accueillis à la mort de leurs parents respectifs. Les fièvres ont emporté pères et mères, lançant un vieil homme triste et enclin à laisser faire les choses. Les deux orphelins se sont retrouvés livrés à eux-mêmes et au bon vouloir des gens de la maison... (suite)
Chapitre 4
Sous-bois
« Donnez-moi votre main Monsieur le Vicomte. Je vais vous aider à gravir ce mur. Vite avant que les gardes ne nous surprennent. »
L’homme qui propose sa main est Augustin Raujol, un homme très grand et très robuste. Un marchand qui possède une boutique d’étoffes et de draps dans la ville de Montpellier. Dans la rue où il travaille avec sa famille, tout le monde connaît son honnêteté, sa probité et la qualité des produits que l’on trouve dans son échoppe. Les soies d’Orient y côtoient les toiles en coton d’Égypte, les brocarts chatoyants, ainsi que les dentelles les plus fines. Pour la plupart de habitants de la ville de Montpellier, ... (suite)
Chapitre 5
Asile
Les deux hommes ont continué à marcher toutes les nuits. Ils ont laissé au loin les villages et leurs feux revigorants le plus longtemps possible. Mais la nécessité de trouver un peu de vivre les tenaillait trop fortement. Il faut parfois passer outre la prudence la plus élémentaire afin de se remplir un peu le ventre. Car il faut tenir, et la nourriture est une clef pour avancer encore et encore. Point de légumes dans les potagers. Points de fruits dans les vergers. Les céréales ? La saison ne s’y prête pas... (suite)
Chapitre 6
Le Cabinet du Ministre
François Villers de Barbazan attend seul dans l’antichambre du Ministre de la guerre. La pièce est éclairée par deux grandes fenêtres qui encadrent de part et d’autre deux grandes portes ouvragées. Il a revêtu ses plus beaux habits pour la circonstance. Un long manteau rouge cramoisi en velours avec des broderies d’or représentant des feuilles de chêne, et des dentelles aux manches. Il recouvre sa chemise blanche dentelée aux extrémités par un gilet lui aussi rouge, mais d’un rouge plus doux. Au cou, il porte... (suite)
Chapitre 7
Les caves
Charles de Grazac rentre dans la pièce où se trouvent les deux fugitifs et son domestique. C’est un homme de stature moyenne. Il est trapu, et son visage mal rasé arbore une mâchoire puissante. Sous sa robe de chambre qu’il a revêtue dans la précipitation, son corps dégage une grande nervosité. Son regard exprime surprise et inquiétude. Armand le remarque immédiatement malgré son extrême fatigue. Il s’avance vers son beau-frère.
« Mon frère, je sais que vous ne vous attendiez pas à ma visite, mais… »... (suite)
Chapitre 8
Montpellier
Le carrosse venant de Versailles arrive enfin à destination. Dix jours de voyage sur des routes qui ressemblent plus à des chemins pour les bœufs des paysans qu’à de véritables voies praticables pour les chevaux, voilà ce qu’en pense le Chevalier. Et cette pluie quasiment incessante, et souvent la neige, qui ont tout détrempé à l’intérieur. Les habits du jeune homme eux-mêmes sentent cette humidité si particulière et si intense. Cette odeur âcre et tenace. Ils se teintent maintenant entièrement de couleurs délavées. Les plumes de son chapeau ne ressemblent plus qu’à de fines tiges nues et largement mâchonnées. Et la boue ! Elle est partout. Et pas seulement sur les roues de la voiture, mais sur la voiture elle-même. Dans le carrosse ! Sur lui ! Il est parfois difficile de distinguer les véritables teintes du véhicule. Alors arriver dans cette province avec un soleil qui perce enfin... (suite)
Chapitre 9
En chemin
Rapidement après leur arrivée dans ce trou sordide, que leurs geôliers veulent appeler une prison, la santé d’Augustin n’a fait que décliner. Une forte fièvre a pris son corps et rien ne paraît pouvoir l’en chasser. Le marchand de drap, qui est dans sa propre ville, lieux de résidence de sa famille et de ses espoirs, passe son temps dans une sorte de sommeil agité qu’aucune parole ne permet de ramener à la réalité. Et Armand pense... (suite)